Comment sauver les futures Pia

Geplaatst op 20 septembre, 2019 om 13:12

Notre pays s’est mobilisé en masse pour tenter de sauver la petite Pia. Cette solidarité fait vraiment chaud au cœur. Toutefois, nous ne pouvons pas tolérer que la vie d’une future petite Pia dépende d’une action par SMS. C’est pourquoi je continue à me battre pour trouver une solution structurelle. Je lance aussi un appel aux autres pays afin d’unir nos forces.

La petite Pia est atteinte d’amyotrophie spinale, une maladie musculaire rare et grave. Il n’existe pour l’instant que très peu de traitements contre cette maladie. Il y a un médicament qui aide à supprimer les symptômes, à savoir le Spinraza, et un nouveau médicament, le Zolgensma, qui pourrait éventuellement agir sur les causes mais dont on ne connaît pas encore les effets à long terme.

Pia est actuellement traitée avec le Spinraza. C’est aussi un médicament très cher, mais grâce au fait que nous ayons pu unir nos forces avec les Pays-Bas, ce médicament est remboursé en Belgique depuis septembre 2018.

Produit miracle ou pas ?

Il est logique que les parents de Pia préfèrent le traitement qui agirait directement sur les causes de la maladie – quel parent ne ferait pas pareil à leur place ? Les premiers résultats du Zolgensma sont prometteurs, mais on ne sait toujours pas trop quels seront les effets à long terme ni les effets secondaires.

OK, mais ne faut-il pas au moins essayer de la sauver ? Ça semble tellement logique, mais en réalité, ce n’est pas si évident. Le médicament n’est même pas encore en vente sur le marché européen. Par contre, il est bel et bien disponible aux États Unis pour le prix de 1,9 millions d’euros.

Il faut savoir qu’un gouvernement d’un pays européen n’a pas le pouvoir de décider lui-même de rembourser Zolgensma. Il faut d’abord que le médicament soit enregistré auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA). Une fois enregistré, le ministre belge en charge de l’Économie peut en fixer le prix maximal. Et ce n’est qu’ensuite que la firme peut demander le remboursement dans notre pays. C’est la commission de remboursement des médicaments qui est chargée de formuler un avis à ce sujet, après quoi la ministre de la Santé publique peut encore essayer de négocier avec la firme pour arriver à un prix raisonnable pour le médicament en question.

Ce sont les règles en temps normal, mais malheureusement, nous savons tous que Pia n’a pas le temps d’attendre toute cette procédure.

C’est pourquoi nous avions déjà demandé à Novartis, le fabricant de Zolgensma, de temporairement mettre le médicament gratuitement à la disposition de la petite Pia. Le terme officiel pour cette mesure exceptionnelle est l’usage compassionnel.

Est-ce une demande irraisonnable ? Bien sûr que non. Les soins de santé sont principalement financés à l’aide de fonds publics. En contrepartie, il doit impérativement y avoir un engagement social. Or, la société pharmaceutique n’a pas donné suite à notre demande jusqu’à ce jour.

C’est ainsi qu’au début de cette semaine, les parents de Pia ont décidé de lancer une action de charité via un crowdfunding pour rassembler cette somme exorbitante. L’action a connu un succès fou. Ça fait vraiment chaud au cœur de voir autant de solidarité, surtout quand on est mère. Mais que ce soit clair : la vie de Pia et d’autres patients ne devrait pas dépendre de telles actions de charité.

Pourquoi notre gouvernement ne paie-t-il tout simplement pas le traitement de Pia ?

Cette option peut sembler tout à fait logique, mais en fait, c’est un choix très dangereux. Payer sans plus signifierait lancer une bombe à retardement dans nos soins de santé et donc mettre en danger l’avenir de TOUS nos patients.

Et quel message enverrait-on au secteur pharmaceutique ? Ce serait comme leur dire : « Plus besoin de la procédure normale qui exige que les firmes démontrent d’abord l’efficacité de leur médicament avant de négocier avec le gouvernement pour convenir d’un prix raisonnable. Si vous mettez suffisamment de pression sur l’opinion publique, on n’aura pas d’autre choix que de céder à toutes vox exigences et vous aurez tout ce que vous voulez. »

En d’autres termes : payer, c’est leur donner tout le contrôle sur la fixation des prix et c’est garantir que nos soins de santé aillent tout droit à la ruine. Imaginez un instant comment expliquer cela à tous les autres patients : « Ah, désolé, mais il n’y a plus d’argent. Votre traitement ne sera plus remboursé. »

Effet inverse

Des hommes et des femmes politiques de tous les horizons disent aujourd’hui qu’ils ne seraient jamais d’accord sur des prix vertigineux pour des médicaments. Je partage leur opinion à 200% : je trouve aussi que de tels prix sont inacceptables. Mais ce ne sont pas avec des propos catégoriques et en bombant le torse que les choses vont avancer.

C’est tout le contraire même. Admettons que la Belgique campe sur ses positions et dise en toute logique : nous ne voulons pas payer ce prix. Que se passera-t-il alors ? Les firmes pharmaceutiques ne proposeront tout simplement plus leurs médicaments sophistiqués et très coûteux sur le marché belge. Et qui en sera la victime ? Nos patients, à qui nous n’aurons plus de traitement à proposer. Allez expliquer cela aux patients et à leur famille.

Ce qui s’est passé avec Pia, se produit hélas également dans d’autres pays où les autorités sont également mises sous pression pour qu’elles payent des prix bien trop exorbitants pour des médicaments. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un problème belge mais d’un problème international. Aussi, c’est au niveau international que des solutions doivent être recherchées.

Deux choses sont essentielles dans ce cadre : le statut européen du médicament orphelin et la manière dont les pays négocient les prix chacun de leur côté.

Le statut du médicament orphelin

En 2000, l’Europe a créé un statut protégé pour les médicaments orphelins, c’est-à-dire des médicaments pour soigner des pathologies rares comme celle dont souffre Pia. Sans ce statut, les entreprises ne voulaient pas investir dans des traitements pour de petits groupes de patients. Pourquoi? Parce que le nombre de patients étant limité, elles ne pouvaient jamais regagner les lourds investissements nécessaires.

Grâce à la protection de ce statut, elles ont reçu les garanties nécessaires (par ex. 10 ans d’exclusivité sur le marché), ce qui a fait en sorte qu’elles étaient prêtes à faire les investissements nécessaires. Cela nous permet aujourd’hui de disposer de plusieurs très bons traitements pour des pathologies rares.

Le problème, c’est que ce modèle est confronté à ses propres limites. Les entreprises demandent des prix de plus en plus élevés. Bien entendu, il est logique que des traitements complexes et personnalisés coûtent de l’argent. Mais les sommes aujourd’hui demandées sont exorbitantes. En tant que pouvoirs publics, vous êtes en plus faible durant les négociations puisqu’il ne s’agit « que » d’un petit groupe de patients.

C’est pour cette raison qu’il est absolument indispensable que l’Europe revoie le statut des médicaments orphelins afin de prévenir les abus. J’ai déjà abordé cette question à plusieurs reprises avec la Commission européenne, l’OCDE et l’Organisation mondiale de la Santé. Mais maintenant que le Dr Hans Kluge, un compatriote, est à la tête de l’Organisation mondiale de la Santé pour l’Europe, je continuerai à insister pour mettre cette question à l’ordre du jour au niveau international.

Négociations internationales

Un deuxième aspect crucial est la manière dont les pays négocient le prix d’un médicament. Jusqu’il y a peu, chaque pays négociait de son côté. Au cours de la législature écoulée, j’ai tout fait pour mettre fin à cette situation, et ce avec succès : notre pays a uni ses efforts avec les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche et l’Irlande pour négocier ensemble  le prix des médicaments orphelins.

Ainsi, en tant que pouvoirs publics, vous pouvez obtenir de nettement meilleurs prix. C’est d’ailleurs grâce à cette collaboration que nous pouvons aujourd’hui rembourser le Spinraza dans notre pays, une chose qui autrement aurait été impossible …